L’exposition ANIMAL proposée par le beau Musée des arts décoratifs de Paris tient typiquement du genre « qui réjouira petits et grands », ce qui lui évite à la fois la niaiserie et la pédanterie. On trouvera facilement, sur le site du Musée, les informations nécessaires et suffisantes à son appréhension générale, ainsi qu’aux activités proposées dans son sillage. Pour mémoire, et parce que bientôt il n’en sera plus temps, celles et ceux qui ont des enfants de 4 à 10 ans pour lesquels ils désespèrent de trouver des activités à Pâques autres que la recherche des œufs dans le jardin – pour s’en tenir aux pratiques sécularisées, voire semi-païennes – peuvent les inscrire jusque fin avril à des ateliers tels que De plumes et d’écailles (reconnaissance des matériaux dans l’exposition, et Dieu sait s’il y en a) ou, plus sophistiqué, Bêtes à roulettes (fabrication d’un jouet à tirer ou à pousser, mais encore faut-il pouvoir rivaliser avec la collection merveilleuse de jouets en bois du Musée, sise au même étage). Tout cela est consultable : http://www.lesartsdecoratifs.fr. Le diaporama vaut d’être regardé, même s’il ne livre que quelques échantillons. On ne se lasse pas de la sublimissime combinaison et casque en peau autruche de Pierre Balmain (Collection haute couture automne-hiver, 1977) ni des bottines en python (1966-1974), qui nous rappellent opportunément qu’il fut un temps où l’on pouvait sortir vêtu d’un animal véritable sans déclencher une émeute militante . Bien sûr, les objets hautains de la dépense luxueuse, en s’appropriant l’enveloppe corporelle des bêtes, manifestent une cruelle suprématie de l’homme. Mais c’était avant que nous ne sachions que les espèces disparaissaient et qu’il faudrait nous restreindre dans la consommation de leur chair. Avant, aussi, que l’industrie du luxe elle-même ne trouve son intérêt à se placer aux avant-gardes des « bonnes pratiques »…
L’exposition, en elle-même, a choisi une scénographie simple et fluide : une série de douze salles, conçues comme des alvéoles, s’enchaînent sur un mode thématique, introduites par un thème gentiment expressif se référant un usage spécifique de l’animal dans la culture du quotidien, généralement somptuaire. On en donnera ici quelques exemples . « Naturalia » (1) invite à repérer le travail des matières luxueuses : la coquille, l’écaille, se logent dans les nécessaires de toilette, la plume du martin-pêcheur se glisse dans la magnificence perlée d’une « dame chinoise » (XIXe siècle), l’épine de porc-épic vient zébrer tel élégant étui à cigarettes. « Morts ou vifs ! » (2) propose plutôt un aperçu des arts de la porcelaine au XVIIIe siècle : des corps sanglants et naturels, trop naturels, de la chasse ou de la vie sauvage, aux objets de table ou de décoration, l’animal est civilisé, maîtrisé, par l’arabesque, la miniature, le brillant et l’arrondi de petits bibelots polis (la collection de boîtes à priser vaut presque celle de Jacquemart-André). « Bon appétit ! » (4) retourne l’exercice, et peut-être l’estomac, en offrant, parmi de remarquables specimen faïencés (soupière pisciforme, plat à terrine aux anses à tête de perdrix), une réalisation de l’artiste contemporaine Valérie Delarue. Cette série de pièces de faïence émaillée, jouant de la sanguinolence des rouges, des roses et des blancs mêlés, ne propose pas des plats zoomorphes, mais, le long d’un grand surtout de table, des abats, des morceaux veinurés d’animaux, en une leçon d’anatomie à la fois raffinée et trash. L’ensemble s’intitule aimablement Massacre. On passera sur « Mutants » (6), plus prévisible, mais au deuxième étage, sa suite logique, « Chimères » (7), nous accueille avec une série d’hybridations autorisant de belles réussites artisanales (mélanges de métal forgé, de bois, de faïence…) : l’art et le métier rencontrent, par analogie et obscure affinité, la complexité du monstre. « L’homme ou la bête » (8) prolonge cette incursion en ouvrant sur la question de la frontière homme/animal, ironiquement interrogée par le célèbre Singe peintre de Watteau. On pourra cependant juger difficile à suivre le lien avec, dans la même salle, l’application plus directement politique de cette porosité dans la caricature antisémite, autour de l’affaire Dreyfus. Le Musée offre une vue de ses collections autour d’une thématique productive, ce qui ne signifie pas toujours une problématisation ferme de cette thématique. Le côté cabinet de curiosité, à la limite, parfois, du bric-à-brac, séduit pourtant : son luxe, son élégance aérée, son goût surtout, éteignent vite le Bouvard et Pécuchet qui sommeille en nous. Il n’empêche : saisi dans ses métamorphoses travaillées par l’artisan raffiné – et parfois, comme dans « Mutants », selon la laideur toute démocratique du plastique de série – l’animal s’efface parfois au profit de la richesse des matières et de leur mise en valeur. Manière propre au principe-exposition, ce moment de culture par excellence, de le domestiquer ? Peut-être. Façon, aussi, de découvrir des métiers oubliés (comme le précieux plumassier, salle 11, sans lequel la coiffe branlante de Madame de Cambremer ne serait sans doute pas ce qu’elle devient dans Un amour de Swann) et d’admirer les audaces qui signalent un autre frontière floue, entre art et artisanat : comment ne pas demeurer béant et fasciné devant l’étonnant secrétaire Rhinocéros de Lalanne (1966, salle 10 : « Empreintes ») ? Fabuleuse bête de laiton poli, cuir et acier, il s’ouvre tel un piano à queue ou un bar à cocktails. On s’y poserait toutefois avec quelque réticence, tant la chose intimide à force d’étinceler, dans sa lourde immobilité. Mais on retrouvera avec plaisir, à l’étage des collections permanentes dévolu à l’art nouveau et l’art déco, sa rotondité sensuellement rappelée par le chiffonnier anthropomorphe d’André Groult (1926, acajou gainé de galuchat, ivoire).
Florence Lotterie