Ecole Thématique
Musée des arts décoratifs

Exposition ANIMAL

février 2010 - novembre 2011

L’expo­si­tion ANIMAL pro­po­sée par le beau Musée des arts déco­ra­tifs de Paris tient typi­que­ment du genre « qui réjouira petits et grands », ce qui lui évite à la fois la niai­se­rie et la pédan­te­rie. On trou­vera faci­le­ment, sur le site du Musée, les infor­ma­tions néces­sai­res et suf­fi­san­tes à son appré­hen­sion géné­rale, ainsi qu’aux acti­vi­tés pro­po­sées dans son sillage. Pour mémoire, et parce que bien­tôt il n’en sera plus temps, celles et ceux qui ont des enfants de 4 à 10 ans pour les­quels ils déses­pè­rent de trou­ver des acti­vi­tés à Pâques autres que la recher­che des œufs dans le jardin – pour s’en tenir aux pra­ti­ques sécu­la­ri­sées, voire semi-païen­nes – peu­vent les ins­crire jusque fin avril à des ate­liers tels que De plumes et d’écailles (reconnais­sance des maté­riaux dans l’expo­si­tion, et Dieu sait s’il y en a) ou, plus sophis­ti­qué, Bêtes à rou­let­tes (fabri­ca­tion d’un jouet à tirer ou à pous­ser, mais encore faut-il pou­voir riva­li­ser avec la col­lec­tion mer­veilleuse de jouets en bois du Musée, sise au même étage). Tout cela est consul­ta­ble : http://www.lesarts­de­co­ra­tifs.fr. Le dia­po­rama vaut d’être regardé, même s’il ne livre que quel­ques échantillons. On ne se lasse pas de la subli­mis­sime com­bi­nai­son et casque en peau autru­che de Pierre Balmain (Collection haute cou­ture automne-hiver, 1977) ni des bot­ti­nes en python (1966-1974), qui nous rap­pel­lent oppor­tu­né­ment qu’il fut un temps où l’on pou­vait sortir vêtu d’un animal véri­ta­ble sans déclen­cher une émeute mili­tante . Bien sûr, les objets hau­tains de la dépense luxueuse, en s’appro­priant l’enve­loppe cor­po­relle des bêtes, mani­fes­tent une cruelle supré­ma­tie de l’homme. Mais c’était avant que nous ne sachions que les espè­ces dis­pa­rais­saient et qu’il fau­drait nous res­trein­dre dans la consom­ma­tion de leur chair. Avant, aussi, que l’indus­trie du luxe elle-même ne trouve son inté­rêt à se placer aux avant-gardes des « bonnes pra­ti­ques »…

L’expo­si­tion, en elle-même, a choisi une scé­no­gra­phie simple et fluide : une série de douze salles, conçues comme des alvéo­les, s’enchaî­nent sur un mode thé­ma­ti­que, intro­dui­tes par un thème gen­ti­ment expres­sif se réfé­rant un usage spé­ci­fi­que de l’animal dans la culture du quo­ti­dien, géné­ra­le­ment somp­tuaire. On en don­nera ici quel­ques exem­ples . « Naturalia » (1) invite à repé­rer le tra­vail des matiè­res luxueu­ses : la coquille, l’écaille, se logent dans les néces­sai­res de toi­lette, la plume du martin-pêcheur se glisse dans la magni­fi­cence perlée d’une « dame chi­noise » (XIXe siècle), l’épine de porc-épic vient zébrer tel élégant étui à ciga­ret­tes. « Morts ou vifs ! » (2) pro­pose plutôt un aperçu des arts de la por­ce­laine au XVIIIe siècle : des corps san­glants et natu­rels, trop natu­rels, de la chasse ou de la vie sau­vage, aux objets de table ou de déco­ra­tion, l’animal est civi­lisé, maî­trisé, par l’ara­bes­que, la minia­ture, le brillant et l’arrondi de petits bibe­lots polis (la col­lec­tion de boîtes à priser vaut pres­que celle de Jacquemart-André). « Bon appé­tit ! » (4) retourne l’exer­cice, et peut-être l’esto­mac, en offrant, parmi de remar­qua­bles spe­ci­men faïen­cés (sou­pière pis­ci­forme, plat à ter­rine aux anses à tête de per­drix), une réa­li­sa­tion de l’artiste contem­po­raine Valérie Delarue. Cette série de pièces de faïence émaillée, jouant de la san­gui­no­lence des rouges, des roses et des blancs mêlés, ne pro­pose pas des plats zoo­mor­phes, mais, le long d’un grand sur­tout de table, des abats, des mor­ceaux vei­nu­rés d’ani­maux, en une leçon d’ana­to­mie à la fois raf­fi­née et trash. L’ensem­ble s’inti­tule aima­ble­ment Massacre. On pas­sera sur « Mutants » (6), plus pré­vi­si­ble, mais au deuxième étage, sa suite logi­que, « Chimères » (7), nous accueille avec une série d’hybri­da­tions auto­ri­sant de belles réus­si­tes arti­sa­na­les (mélan­ges de métal forgé, de bois, de faïence…) : l’art et le métier ren­contrent, par ana­lo­gie et obs­cure affi­nité, la com­plexité du mons­tre. « L’homme ou la bête » (8) pro­longe cette incur­sion en ouvrant sur la ques­tion de la fron­tière homme/animal, iro­ni­que­ment inter­ro­gée par le célè­bre Singe pein­tre de Watteau. On pourra cepen­dant juger dif­fi­cile à suivre le lien avec, dans la même salle, l’appli­ca­tion plus direc­te­ment poli­ti­que de cette poro­sité dans la cari­ca­ture anti­sé­mite, autour de l’affaire Dreyfus. Le Musée offre une vue de ses col­lec­tions autour d’une thé­ma­ti­que pro­duc­tive, ce qui ne signi­fie pas tou­jours une pro­blé­ma­ti­sa­tion ferme de cette thé­ma­ti­que. Le côté cabi­net de curio­sité, à la limite, par­fois, du bric-à-brac, séduit pour­tant : son luxe, son élégance aérée, son goût sur­tout, éteignent vite le Bouvard et Pécuchet qui som­meille en nous. Il n’empê­che : saisi dans ses méta­mor­pho­ses tra­vaillées par l’arti­san raf­finé – et par­fois, comme dans « Mutants », selon la lai­deur toute démo­cra­ti­que du plas­ti­que de série – l’animal s’efface par­fois au profit de la richesse des matiè­res et de leur mise en valeur. Manière propre au prin­cipe-expo­si­tion, ce moment de culture par excel­lence, de le domes­ti­quer ? Peut-être. Façon, aussi, de décou­vrir des métiers oubliés (comme le pré­cieux plu­mas­sier, salle 11, sans lequel la coiffe bran­lante de Madame de Cambremer ne serait sans doute pas ce qu’elle devient dans Un amour de Swann) et d’admi­rer les auda­ces qui signa­lent un autre fron­tière floue, entre art et arti­sa­nat : com­ment ne pas demeu­rer béant et fas­ciné devant l’étonnant secré­taire Rhinocéros de Lalanne (1966, salle 10 : « Empreintes ») ? Fabuleuse bête de laiton poli, cuir et acier, il s’ouvre tel un piano à queue ou un bar à cock­tails. On s’y pose­rait tou­te­fois avec quel­que réti­cence, tant la chose inti­mide à force d’étinceler, dans sa lourde immo­bi­lité. Mais on retrou­vera avec plai­sir, à l’étage des col­lec­tions per­ma­nen­tes dévolu à l’art nou­veau et l’art déco, sa roton­dité sen­suel­le­ment rap­pe­lée par le chif­fon­nier anthro­po­mor­phe d’André Groult (1926, acajou gainé de galu­chat, ivoire).

Florence Lotterie

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