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Le Loup et le Léviathan

Quand Hobbes a cité le dicton bien connu homo homini lupus (qui s’est associé à son nom depuis, et inversement), il n’a pas voulu caractériser ‘l’homme’ mais ‘la condition humaine’ hors de l’état civil, c’est-à-dire, comme il serait sans souveraineté (pouvoir commun), sans lois et contrats assurés par ce pouvoir commun. Trop souvent on cite la citation de Hobbes – et il le cite comme un dicton ou topos, un lieu commun – sans le contexte, où il le juxtapose à son opposé aussi commun, homo homini deus. Dans ce contexte, l’épître dédicatoire du De Cive, il explique cette divinité mutuelle comme appartenant à l’état civil dans « les rapports entre concitoyens, par la justice et la charité, vertus de paix. » Mais nous pouvons comprendre ces rapports, cette divinité humaine envers les hommes, comme Hobbes les a fondés, à partir des trois lieux dans son Léviathan où cet animal éponyme, monstre biblique, est mentionné.

D’abord l’Introduction, où il est clair que le Léviathan, appelé aussi Cité (civitas), est « un homme artificiel » dont l’homme est à la fois la matière et l’artisan, comme « le plus noble des animaux. » Puis au chapitre XVII où, après avoir comparé les hommes aux animaux politiques ou sociaux, Hobbes explique comment, par un pacte de chacun avec chacun, une multitude se fait « une seule personne, qu’on appelle cité et république. Telle est la génération de ce grand Léviathan, ou, pour en parler plus dignement, du dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, toute paix et toute protection. ». Dans le chapitre XXVIII, le paragraphe final commence ainsi : « J’ai traité jusqu’ici de la nature de l’homme, que son orgueil et ses autres passions ont obligé à se soumettre à un gouvernement, et de l’immense pouvoir de son gouverneur, le comparant à ce grand Léviathan dont Dieu dit au chapitre 41 du Livre de Job : “Il n’est pas de puissance sur la terre qui lui soit comparée. Il est fait pour ne rien craindre. . .Il est le roi de tous les fils de l’orgueil. » Deux bêtes, alors, sont à craindre. Mais la peur du loup ou des hommes-loups dans « la condition naturelle » (état hypothétique) est la condition de la peur bienfaisante du Léviathan dans l’état civil, civitas.